La Chine sera bientôt la plus grande économie mondiale ? Jour après jour, Huawei, Haier, WeChat… l’Empire du milieu inonde actuellement la planète de ses fleurons industriels et aborde le numérique, l’intelligence artificielle, l’électrique ou le développement durable…
Sur un ton incisif et un brin provocateur, Denis Jacquet et Homéric de Sarthe, les auteurs du livre « Pourquoi votre prochain patron sera Chinois ? » dressent un état des lieux implacable de l’hégémonie économique chinoise et de ses impacts sur notre quotidien.
Denis Jacquet est un entrepreneur impénitent. Il a passé dix années à l’étranger et a fondé le Mouvement Day One, destiné à aider le monde à l’adaptation face aux changements engendrés par le digital. Homéric de Sarthe a vécu sept ans en Chine et parle couramment mandarin. Il a monté trois sociétés en Chine avant de revenir en France en 2016.
Nous vous présentons Denis Jacquet, un de ses deux auteurs, qui nous décrypte sa vision de la Chine …
Pourriez-vous expliquer le titre de votre livre « Pourquoi votre prochain patron sera Chinois »?
À la base, c’était une rencontre, j’ai rencontré Homéric de Sarthe, qui a écrit ce livre avec moi. Il a fini ses études et a entrepris en Chine. A son retour, nous en avons discuté, et je trouvais qu’on ne parlait pas ou peu de la Chine, comme si la Chine n’existait pas. Alors qu’en réalité pour tous ceux qui s’intéressent un peut au monde, on sait que depuis 20 ans la Chine accélère, entreprend et innove. Tout le monde s’est à commencer à parler de la Chine quand Trump est arrivé au pouvoir et qu’il a commencé à s’opposer à celle-ci.
La Chine refaisait la route de la soie et investissait dans tout les pays du monde. Moi qui vais souvent en Afrique, je vois à quel point la Chine est devenue très présente. Mais je ne vois personne réagir, réfléchir, et se dire : Est ce que c’est un nouveau compétiteur ? Donc est ce qu’il faut qu’on se prépare ? A quoi il faut qu’on se prépare ? Est-ce qu’on va travailler avec ou contre ou en coopération avec eux ? Enfin aucune question, réflexion, ni information.
Nous, nous savions qu’il y avait une avancée très rapide, que technologiquement cela allait à toute vitesse. Même le patron de Google, un moment disait « La Chine est en train de nous rattraper sur l’intelligence artificielle ». Je me dis donc que se serait bien que les Français comprennent ce qui se passe vraiment. Pourquoi et comment ça marche ? Quel est le contexte ? Pourquoi cela nous semblait un modèle qui certes, pourrait faire peur, mais qui est extrêmement puissant, beaucoup plus efficace, avec beaucoup moins d’état d’âme qu’on en a en Europe.
Les Chinois sont peut-être plus durs, sont peut-être plus autoritaires, mais ils avancent. La Covid nous a prouvée qu’on savait nous aussi restreindre la liberté et faire preuve d’un extrême autoritarisme centralisateur. Il y a 1.300 Milliard d’individus qu’il faut sortir de la pauvreté, il faut de la croissance, des entreprises, des emplois. C’est un modèle intéressant économiquement et politiquement.
Cela paraissait paradoxal, d’avoir un régime censé être plutôt communiste, qui anime une économie plutôt capitaliste. C’est un des seul pays au monde qui arrive à peu près à faire vivre les deux en même temps. On voulait absolument que les gens comprennent un peu, faire un peu de pédagogie autour de cette thématique-là. On n’arrête pas de parler des États-Unis, une obsession à travers les GAFA, alors que la Chine est en train de devenir la deuxième, voire la première puissance du monde avec les États-Unis, au moins sur la technologie.
Que pensez-vous de la Chine ?
Je pense que la Chine comme toutes les grandes puissances est un exemple à étudier. On peut avoir son avis, ses opinions sur le fonctionnement politique, ainsi que sur les règles de fonctionnement.
Mais ce qui m’intéresse en tant qu’entrepreneur, c’est comment ça marche et pourquoi ca marche si bien. Pourquoi la Chine parvient à aller si vite ?
Le premier vrai livre que j’ai trouvé intéressant sur la Chine était celui de KaïFu Lee, qui a longtemps été le patron de Google Chine (Chez Apple avant). J’ai échangé avec lui il y a quelques mois, nous avons pu nous parler pendant une heure. J’ai trouvé passionnant, la façon dont il décrivait ce qu’il appelait une économie de « gladiateur ». C’est à dire que, souvent, en France comme ailleurs, on dit que la Chine copie, et en fait ce qu’on souhaite faire passer comme message c’est qu’ils viennent copier les occidentaux. Je trouvais déjà intéressant de rappeler qu’au 15ème siècle l’Angleterre et la France ont colonisé la Chine, et lui ont tout volé.
Mais surtout, l’Europe a commencé par copier la Chine, et cela, bien avant que la Chine commence à copier L’Europe. Je pense que c’était intéressant d’expliquer, notamment aux français, que la culture, c’est une structure qui se forge chaque jour à travers l’éducation. Justement, si l’on prend l’exemple de l’écriture Chinoise. Cette langue comporte tellement de signes, c’est une langue tellement complexe que chaque Chinois commence par la copier, recopier, jusqu’au moment où chacun doit tenter de l’améliorer…
Ainsi dans la culture Chinoise copier et améliorer est naturel et non un « péché » tel que le conçoive les occidentaux. De plus, contrairement, à la légende urbaine, copier n’est pas un « crime » contre les occidentaux, car les Chinois se copient également entre eux. C’est donc simplement une affaire de différence de culture et non la définition universelle du bien et du mal !
Notre premier message, est donc simple : Nous voulons rappeler que si l’on veut être ouvert sur le monde, il faut accepter que des cultures puissent échapper à notre définition de ce qui est la norme, la règle. Admettre que l’on puisse faire différemment de nous sans que cela ne soit mal ! C’est très difficile faire comprendre ce message à un Européen qui pense être la définition et l’arbitre, le juge, du bien et du mal.
Le 2ème message, pour moi, était de faire comprendre que les chinois maîtrisent parfaitement la technologie, et dès lors, sont capable, eux, de la financer massivement, de prendre des risques pour que les entrepreneurs, les fonds d’investissement s’y lancent sans limitation. Bien évidement l’Etat garde le contrôle. On l’a vu avec Jack Ma et Ali Baba récemment ou encore à travers les sanctions contre les entreprises chinoises. Notamment celles qui entrent en bourse à l’étranger (Didi récemment).
Quand ils commencent à bouger en dehors « du cercle » défini comme « conforme à la norme du Parti », ils peuvent imposer à un gérant surpuissant comme Ali baba les mesures qu’ils souhaitent. Y compris leur imposer des concurrents. Bien évidemment, l’état garde une main mise très forte sur l’économie, qui doit être au service du modèle politique. Néanmoins, quand ils disent « l’entreprenariat on y va », tout le monde y va. Cela veut dire qu’il existe une vision forte, au niveau du Parti communiste, qui est une vision plus éclairée, et surtout plus volontariste, que celle de nos dirigeants Européens.
Ils sont plus politiques, mais tellement moins technocratiques. Je trouve cela intéressant, de voir un pays qui a tout compris sur le rôle de l’état comme moteur de l’économie. L’Europe n’est excitée que par la normalisation de l’économie, donner une routine, sans définir de vision. On adore faire des lois, des normes. Tout ce qui enferme, jamais ce ne qui libère.
L’entreprise reste suspecte pour les technocrates. La Chine joue un jeu « double » avec un côté « enfermement », mais aussi un aspect libertaire, qu’on a nous perdu, qui ferait pâlir les Américains et je trouve dommage que nous n’ayons pas le dixième de leur ambition. Je m’intéresse à cette capacité de conjuguer un modèle où l’état est très présent, tout en laissant les entrepreneurs s’enrichir sans honte. Je ne veux pas dire sans règles, mais avec des règles plus adaptées au monde tel qu’il est aujourd’hui.
Le 3ème message, c’est que le monde va être dirigé par ceux qui maitrisent la Data, les modèles digitaux, l’intelligence artificielle. La Chine est en train de rattraper à une vitesse folle. Et de nous dépasser même, sur certains créneaux. Donc la véritable question est de comprendre pourquoi ils sont si bons et si rapides ? Pourquoi nous n’y arrivons pas ? Je trouve cela très intéressant. Sans oublier l’aspect stratégique.
On le voit bien à travers le projet de la route de la Soie, les routes qui se construisent pour que tout revienne, toujours, au commerce, et de se dire que finalement la vie de nos sociétés, c’est du commerce ! Il est passionnant de voir la stratégie mondiale qui les anime, être partout, à tout moment, infiltrer toutes les institutions, les discussions, la perfection avec laquelle ils jouent d’une influence qui va croissante chaque jour. Analyser comment ils utilisent la politique, l’économique, l’intelligence artificielle, la data, l’argent, le digital et tant d’autre leviers,afin de tisser un réseau qui est juste incomparable.
Dans la mondialisation actuelle, pensez-vous qu’il y a une solution pour la paix dans le monde ?
C’est une bien grande question ! Si on réfléchit bien la paix, c’est parvenir à une forme d’équilibre. Cela veut dire que si les gens sont en paix, ils cessent de s’agresser et commercent paisiblement.
Dans un premier temps, il me semble difficile d’avoir un monde qui vive dans une paix« bucolique et poétique », parce qu’on construit chaque jour un monde de déséquilibre. Nous avons désormais des pays émergents qui ont souffert de la gestion de la crise du Covid des pays Occidentaux et dont les populations sont retombées dans une terrible pauvreté. On estime qu’il y a aujourd’hui plus de 137 millions de personnes dans le monde qui sont retombées sous le seuil de l’extrême pauvreté.
Cela signifie que les écarts entre les plus riche et les plus pauvres se sont à nouveaux accrus pendant la crise. Il est impossible de rêver d’un monde en paix quand les écarts sont aussi béants. Nous avons accru les déséquilibres.
La seconde raison pour laquelle il ne peut pas avoir de paix, c’est la disparition des classes moyennes et l’accroissement des écarts de richesse. La plupart des pays occidentaux perdent leur classe moyenne. Pendant qu’elles se construisent en Chine, un peu en Afrique, un peu en Amérique du Sud. En fait, c’est cette classe moyenne qui amortit les chocs entre les plus pauvres et les plus riches.
Plus elle est importante, plus l’équilibre se construit : Ceux du bas pensent qu’ils vont pouvoir être aspirés par ceux de la classe moyenne, et ceux de la classe moyenne par ceux de la classe « du dessus ». Tant que cela marche dans le sens de la montée, tout va bien, quand cela commence à glisser dans le sens de la descente, les problèmes s’aggravent.
La 3ème raison, est que nous rentrons dans un monde en recomposition. Nous avions un monde qui était dominé par l’Europe, puis ensuite par les États Unis. Désormais arrive ce troisième acteur qu’est la Chine. Un acteur dont on parlait moins encore récemment. Nous avons également l’Inde qui progresse sur tant de domaines. Et enfin, un continent qui possède un potentiel dont on ne sait pas quand il se réalisera : l’Afrique.
Quand des pays très puissant comme les États-Unis ou continent comme l’Europe commencent à avoir un adversaire de plus, on créé un déséquilibre supplémentaire. En clair, une somme de déséquilibres ne peut aboutir à un monde en paix. À moins de parvenir à les résoudre très vite. Ce ne sera pas le cas, car le monde n’est pas ainsi orienté, il est en pleine « réorientation ». Nul ne peut prévoir ce qui va exactement se passer, mais l’Europe n’y trouvera pas sa place.
L’Europe, désormais, tente de négocier avec la Chine, et voir ce qu’elle peut y gagner. L’Europe est condamnée à compromettre et à négocier, elle n’a pas de réel levier de pouvoir et d’influence. À part sur l’aspect commercial, car la Chine souhaite le business de l’Europe.
Nous sommes dans un monde où les États-Unis ont un leadership a préserver et la Chine, un leadership à consolider. Cela va entraîner une période assez instable où la guerre diplomatique et économique va faire rage. C’est une compétition mondiale dans un monde globalisé, mais de plus en plus individualiste à la fois, où les écarts deviennent tellement intolérables, que malgré les progrès, les gens réalisent, dans les pays occidentaux et chez les émergents, qu’ils s’appauvrissent un peu plus chaque jour. La Covid a rendu plus de 150 millions de personnes à l’extrême pauvreté et ce n’est pas terminé !
L’automatisation qui arrive, risque de tuer, au moins dans un premier temps, des millions d’emploi dans le monde. On va « automatiser » la fabrication de pauvres. On va bâtir ce nouvel équilibre, et ces innovations, sur une population qui a peur, peur de l’avenir, peur de perdre ses emplois, peur d’être déclassée, de gagner moins, de ne pas offrir d’avenir à leurs enfants… Rien qui mène à la paix.
Les Cyber attaques forment la nouvelle forme de la guerre d’antan, et pourraient faire bien plus de dégâts encore. La Russie attaque. La Chine attaque. Tout le monde attaque, sauf l’Europe, qui reste dans la vision d’un monde idéal, fait de princesses, des pourfendeurs de dragons… Nous ne ne sommes pas dans un monde en paix. Je pense malheureusement qu’on n’atteindra pas ce nouvel équilibre, qui permettrait d’être « plus en paix », avant au moins une vingtaine d’années. Le nombre de jobs disponibles sera le cœur de cet équilibre.
Il va falloir parvenir à discuter de façon plus élaborée, peut-être plus ferme, moins idéaliste, avec la Chine, afin de faire en sorte que le commerce mondial se régule mieux, que tout le monde y trouve sa place, notamment les émergents, et que l’on joue à peu près selon les même règles. Et une fois que tout le monde aura l’impression d’avoir à faire une compétition « normale », on pourrait, peut-être trouver une forme d’équilibre. Pour l’instant, on est loin de ce moment. La Chine devrait sous certains aspects (efficacité et vision) nous inspirer, afin d’être à la hauteur du combat.
Assistante de rédaction : Chaima Charcha
Version chinoise : https://mp.weixin.qq.com/s/oywsIDWMpsjQHtuC09XbEQ